Une première en France. En 2021, Epures, agence d’urbanisme parapublique fournissant aux collectivités ligériennes une expertise préalable à leurs politiques publiques sortait l’analyse : Quelle participation du Sud Loire à l’atteinte des limites de la planète ? Objectif du document réalisé en partenariat avec l’école des Mines de Saint-Etienne : décliner, pour la première fois à une échelle aussi locale, le concept mondial d’atteinte des « Limites planétaires » dans la perspective d’enrichir son aide à la décision. Une tentative d’évaluer, localement, sept des neufs grands cycles naturels identifiés par les chercheurs à l’origine du concept. Travaux ayant trouvé un écho national et désormais international : ils contribueront aux réflexions du 12e Forum urbain mondial au Caire, du 4 au 8 novembre.
L’humanité l’a atteint cette année le 1er août, soit un jour plus tôt qu’en 2023. La médiatique notion du « jour du dépassement », déterminé par les calculs de l’ONG Global Footprint Network, met en évidence que nous vivons à crédit vis-à-vis des capacités de renouvellement des ressources de la planète : en 2024, l’humanité a ainsi utilisé en 7 mois ce que la Terre met 12 mois à régénérer. L’indicateur ne doit pas être confondu avec le concept, certes proche, de « Limites planétaires », comme l’expliquait à nos confrères de Libération au début du mois, Natacha Gondran, professeure l’école des Mines de Saint-Etienne (UMR 5600 Environnement Ville Société) : « Les limites planétaires ne disent rien sur la soutenabilité à l’année. Elles disent que le système Terre s’approche, ou dépasse, des seuils critiques qui vont conduire à un changement d’état d’équilibre. »
Co-auteure avec Aurélien Boutaud en 2020 de l’ouvrage Les Limites planétaires, Natacha Gondran encadre depuis plus de 3 ans la thèse de Quentin Dassibat qui doit être soutenue cet automne : « La territorialisation du cadre des Limites Planétaires ». La publication en 2021 de l’analyse titrée Quelle participation du Sud Loire à l’atteinte des limites de la planète ?, était ainsi issu le fruit de ses premiers travaux menés en collaboration avec Epures, agence d’urbanisme parapublique fournissant aux collectivités du département une expertise préalable à l’application de leurs politiques publiques. Maude Marsauche, chargée d’études environnement énergie a ainsi supervisé les travaux côté agence, celle-ci comptant parmi ses activités, un « Observatoire des transitions environnementales ».
Changement de regard
Dans les propos introductifs du rapport publié en novembre 2021, Natacha Gondran et Aurélien Boutaud rappelaient l’origine et la raison d’être du cadre des « limites planétaires ». Notion « développé par des chercheurs dans un objectif pédagogique, pour interpeller les décideurs à l’échelle internationale sur la notion de seuils à partir desquels l’écosystème planétaire change son état d’équilibre. Il s’agit aussi de montrer que les différentes limites de la planète ne sont pas isolées mais interdépendantes. Par exemple, la perte de biodiversité a des effets sur les capacités de résilience des écosystèmes face au changement climatique. Ces chercheurs se sont regroupés au sein du « Stockholm Resilience Center » ; chaque année, plusieurs centaines de publications sur le sujet sont publiées. » Derrière, l’idée de « passer de variables de contrôle de l’échelle planétaire à l’échelle locale nécessite de définir des budgets environnementaux acceptables ».
C’est-à-dire « définir par territoires ou par secteurs d’activité les niveaux de pollution acceptable pour ne pas bouleverser l’équilibre planétaire. La définition de ces allocations en est à ses débuts, elle nécessite d’avancer en termes de recherche pour caler les modèles. » Ce qui exige un « changement de regard », comme le disait en conclusion du rapport Valérie Devrieux, alors directrice du syndicat mixte du Scot Sud Loire : « Cette démarche émergente a deux principaux intérêts : alimenter les élus par des éléments scientifiques et objectifs ; apporter un « autre regard » sur les capacités du territoire en matière de développement. Les projets de territoire sont souvent portés par des ambitions à court terme et liés à des enjeux locaux. Les ambitions exprimées dans les documents d’urbanisme portent sur les dynamiques démographiques mais aussi économiques. Le cadre des limites planétaires pousse à regarder le territoire à partir des ressources disponibles et des capacités à recevoir des polluants. »
La limite des données disponibles
Avant que l’orientation des politiques publiques locales ne soit clairement indexée sur des limites planétaires territorialisées à ne pas dépasser, il reste naturellement encore énormément de chemin à parcourir. Ne serait-ce déjà parce que les données à disposition restent souvent très partielles. Ce que rappelle régulièrement la publication d’Epures, consciente de ses limites aussi mais qui a le mérite de se lancer dans le défrichement. Ces premiers travaux d’analyse sur la territorialisation des limites planétaires ont d’ailleurs été valorisés dans la foulée par le bilan annuel de l’environnement en France réalisé par le ministère de la Transition écologique. Ils ont ensuite donné lieu à un article dans la revue Techni-cité en décembre 2023. Cet automne, ils contribueront à des réflexions du 12e Forum urbain mondial au Caire, du 4 au 8 novembre. Cela malgré toutes les limites fatales, liées cet exercice innovant : le manque de données locales systématiques et homogènes permettant de parfaitement localiser la mesure de chacune des neufs grands cycles naturels interdépendants correspondant à ces limites planétaires. A savoir :
- 1- Le changement climatique ;
- 2- L’érosion de la biodiversité ;
- 3- La perturbation du cycle de l’eau douce ;
- 4- La perturbation des cycles du phosphore et de l’azote ;
- 5- L’érosion de la couche d’ozone ;
- 6- La diminution du couvert végétal ;
- 7- L’augmentation des particules en suspension dans l’air ;
- 8- L’introduction d’entités nouvelles dans l’environnement ;
- 9- L’acidification des océans
Pour chaque limite, son niveau d’atteinte sera qualifié comme en « espace de sécurité » (en vert) : faible risque de perturbation globale du cycle naturel ; en « zone d’incertitude » (en jaune/orange) : un risque accru existe ; en « niveau dangereux » (en rouge) : un risque d’effondrement du cycle naturel est identifié. La 8 ainsi que, logiquement, la dernière citée, la 9, n’ont pas été traitées dans les cadres des travaux de Quentin Dassibat sur la Loire. Et trois autres n’ont pas pu être pleinement analysées en raison de données imprécises ou insuffisamment territorialisées : le cycle du phosphore, le couvert végétal, les particules en suspension dans l’air. Voici ce que cela donne tout de même, limite par limite, sur donc les deux tiers sud du département.
Changement climatique
Le niveau de qualité de la donnée est ici jugé très bon avec des données locales directes
« Pour mesurer la participation du territoire du Sud Loire à l’atteinte de cette limite, le « budget carbone » défini à l’échelle mondiale pour ne pas dépasser une augmentation de la température moyenne mondiale de + 2°C (correspondant aux engagements des Etats lors de la COP21, à Paris, en 2015) a été rapporté au territoire du Sud Loire en fonction du nombre d’habitants de ce territoire, par rapport au nombre d’habitants total sur Terre. Puis, ce budget carbone territorial a été reporté sur un budget annuel. Ce budget diminue année après année pour devenir nul en 2050. En réalité, les engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’Accord de Paris envisagent de tendre vers la neutralité carbone : les émissions peuvent ne pas être nulles mais ne doivent pas dépasser les capacités de séquestration du carbone. »
« Sont pris en compte les émissions directes (émis physiquement sur le territoire) et les émissions indirectes (liées à la fabrication de biens et services importés et consommés sur le territoire). L’Observatoire Régional Climat Air Energie (ORCAE) comptabilise uniquement les émissions directes, et ce pour les principaux gaz à effet de serre anthropiques que sont le dioxyde de carbone (qui provient principalement de la combustion des énergies fossiles), le méthane (surtout issu de la digestion du bétail et de la décomposition de la matière organique) et le protoxyde d’azote (majoritairement formé à partir des apports de fertilisants azotés aux sols agricoles).. Les émissions indirectes sont une estimation réalisée à partir des données nationales d’importation des ménages et des entreprises rapportées au nombre d’habitants. »
« Les émissions de gaz fluorés, autres gaz à effet de serre à fort pouvoir de réchauffement mais non mesurés par l’ORCAE (ils proviennent des fuites des circuits frigorigènes), ont été évaluées au regard des typologies d’entreprises présentes sur le territoire et d’après la comptabilité carbone nationale ».
Déduction : « Les émissions émises directement par le Sud Loire font déjà franchir le seuil « zone d’incertitude ». Les estimations des émissions liées aux importations et aux gaz fluorés engendrent un dépassement du seuil « niveau dangereux » contre « zone d’incertitude » à l’échelle mondiale.
Erosion de la biodiversité
Le niveau de qualité de la donnée est ici jugé comme moyen, basé sur les milieux et les usages
« La connaissance locale sur les rythmes d’extinction, la diversité et l’abondance d’espèces n’est pas suffisante pour qualifier la qualité de la biodiversité, avertit l’étude. Ainsi, « pour établir une analyse de la perte de la biodiversité, le travail a porté sur la dégradation des milieux naturels à partir d’un état de référence local identifié dans les secteurs bénéficiant d’un fort niveau de préservation écologique. Les seuils de référence mobilisés sont issus des travaux du Biodiversity intactness index (BII) qui indiquent :
- – seuil « espace de sécurité » = un indice d’intégrité supérieur à 90%
- – seuil « zone d’incertitude » = entre 30 et 90 %
- – seuil « niveau dangereux » = inférieur à 30 %
Cet indice repose sur un jeu de coefficients qui établissent, pour un ensemble donné de modes d’occupation du sol (surfaces urbanisées, cultures, prairies, forêts, masses d’eau, etc) un niveau de dégradation de la biodiversité. Un maillage du territoire avec une grille de 5 km de côté a permis de synthétiser cette analyse sous l’angle de la diversité des espèces et du nombre d’individus. »
Déduction Le territoire du Sud Loire semble être « dans « l’espace de sécurité » sur l’indice nombre d’individus, et il apparaît en « zone d’incertitude » pour l’indice nombre d’espèces. A l’échelle planétaire, cette érosion est considérée comme ayant atteint un « niveau dangereux ». »
Perturbation du cycle de l’eau douce
Le niveau de qualité de la donnée est ici jugé comme bas, limitée par le « peu de données sur les ressources « réelles » » et des « données partielles sur les prélèvements »
La connaissance de la ressource en termes de débit des cours d’eau n’est pas disponible pour l’ensemble des points de prélèvement d’eau, avertit l’analyse. « Pour avoir un élément estimatif, l’ensemble des rivières a été analysé comme s’il s’agissait d’une seule rivière en moyennant les débits. Pour la mesure des prélèvements, seule la donnée concernant les prélèvements en eau potable était disponible. A noter que les usages industriels et agricoles peuvent jusqu’à doubler les niveaux de prélèvement de l’eau. Sans les prélèvements industriels et agricoles, le territoire ne dépasse le seuil « zone d’incertitude » qu’en période d’étiage. Dans ces périodes, les prélèvements moyens mensuels d’eau potable représentent 39 % du débit moyen mensuel des cours d’eau du territoire. »
« La régionalisation des projections climatiques prévoit une diminution de la disponibilité des ressources en eau. Il est ainsi attendu sur la période 2070-2100 une baisse du débit des cours d’eau sur le territoire de l’ordre de 25 % en hiver et de 55 % en été. Ces perturbations à venir vont rendre la ressource en eau d’autant plus limitée. Les années hydriques 2022 et 2023 à un doigt de provoquer des restrictions d’accès d’ampleur inédite dans la Loire viennent d’illustrer cette menace dans le département… Déduction, sachant le volume d’eau prélevée par l’industrie et l’agriculture : « zone d’incertitude » contre « espace de sécurité » à échelle mondiale. »
Perturbation du cycle du phosphore
Le niveau de qualité de la donnée est ici jugé comme très bas, du fait de « l’absence de données locales sur l’usage du phosphore » et de « données non homogènes sur la concentration en phosphore dans les milieux aquatiques »
« L’évaluation des apports en phosphore pour la fertilisation agricole ou pour des usages domestiques et industriels à l’échelle locale n’est pas possible en raison de l’indisponibilité des données. » Toutefois, ajoute l’analyse, « l’observation récurrente d’épisodes d’eutrophisation sur le territoire, notamment dans les principales retenues de la Loire telles Villerest et surtout Grangent témoigne probablement d’un excès des apports ». Les trois étés successifs depuis témoignant du développement des cyanobactéries dans ces retenues ne risquent pas de démentir la remarque.
Déduction de l’étude malgré le refus de fixer ici un niveau (jugé dangereux au niveau mondial) : « Même si les variables de contrôle ne permettent pas d’analyser les niveaux d’apports en phosphore sur le territoire, les perturbations du cycle d’eau douce indiquent un dépassement des seuils ».
Perturbation du cycle de l’azote
Le niveau de qualité de la donnée est ici jugé comme moyen : « absence de données locales » mais « possibilité d’estimer les intrants azotés agricoles »
A l’instar du phosphore, « les données sur les apports azotés sont quasi inexistantes rendant difficile une évaluation précise de la participation du Sud Loire à l’atteinte des seuils définis à l’échelle planétaire ». Cependant, un modèle développé par l’université de Tours permet de donner une évaluation de l’azote en fonction des types de cultures présents sur le territoire. « La présence importante d’élevage induit une fertilisation organique (épandage) importante. Celle-ci n’est pas intégrée dans la définition du seuil des limites planétaires. Mais, au regard des phénomènes d’eutrophisation et de dépassements des seuils en azote dans les eaux de rivières régulièrement observés, il est essentiel de les intégrer aux analyses. »
L’étude rappelle que le phénomène d’eutrophisation du lac de Grangent – dont la prolifération d’algues est un des symptômes – est relatif aux deux mécanismes provoqués par l’excès de phosphore et d’azote. Une étude menée en 2017 par l’agence de l’eau a permis de montrer que pour le phosphore, seulement 20% proviendraient des affluents du bassin hydrographique local de la retenue de Grangent. 80 % des apports proviendraient du fleuve Loire en amont de la retenue.
Déduction : le Sud Loire est ici en « zone d’incertitude » (« dangereux » au niveau mondial).
Erosion de la couche d’ozone
Le niveau de qualité de la donnée est ici jugé comme très bon, « a priori »… Avec ce bémol : « faible connaissance des émissions liées aux importations auprès de pays non-signataires du protocole de Montréal »
« Par application du Protocole de Montréal, le territoire Sud Loire n’est plus concerné par les émissions de gaz destructeurs de la couche d’ozone. » Mais « comme pour l’ensemble du territoire national, le Sud Loire a une responsabilité liée à son histoire industrielle. Il est également possible que le territoire ait toujours une responsabilité en important des biens et services en provenance de pays continuant à utiliser ces gaz chlorés. »
Et enfin, « le territoire Sud Loire est aujourd’hui concerné par les émissions de substituants aux gaz chlorés, que sont les gaz fluorés à fort pouvoir réchauffant. Ces gaz ont déplacé le problème de la couche d’ozone vers le changement climatique.
Déduction : le Sud Loire est ici en « zone de sécurité » (idem au niveau mondial).
Diminution du couvert végétal
Le niveau de qualité de la donnée est ici jugé comme moyen : « connaissance partielle du couvert forestier (notamment dans les espaces urbains et périurbain)
« La limite Diminution du couvert végétal pour le territoire du Sud Loire a principalement des effets sur la biodiversité et la vulnérabilité face aux changements climatiques à venir, l’influence sur le cycle du carbone et le cycle de l’eau restant plus marginale. La connaissance du couvert forestier est bonne dans les espaces naturels et ruraux grâce à l’outil de suivi issu du Modèle d’Occupation des Sols d’Epures. Elle l’est beaucoup moins dans les espaces urbains et périurbains où le repérage des espaces végétalisés reste balbutiant. Cette information est donc incomplète. De même, l’état du couvert forestier en 1700 du Sud Loire (état de référence pour la définition du seuil au niveau international) est insuffisamment fin pour servir de référence locale. On peut cependant indiquer que le couvert forestier en 2015 représente 35 % de la surface du Sud Loire ».
Augmentation des particules en suspension dans l’air
La qualité de la donnée est ici jugée bonne : « données précises en ce qui concerne la santé des populations, données faibles en ce qui concerne les modifications climatiques »
Plus que les conséquences climatiques, ce sont les problèmes de santé publique qui rendent la population du territoire du Sud Loire vulnérable à ces émissions, avec notamment les abords des grands axes routiers particulièrement touchés par les émissions de particules fines PM10 (d’un diamètre inférieur à 10 microns) et PM2.5 (d’un diamètre inférieur à 2.5 microns). Si globalement le périmètre territorial du Scot Sud Loire est peu impacté par les particules fines, certains secteurs à proximité de grandes voiries, ont des niveaux de pollution importants.
If Saint-Etienne renvoie à la lecture des articles et dossiers à ce sujet issus des bilans publiés par Atmo Aura. Rappelons cependant que les seuils de dangerosités européens actuels (ceux fixés par l’UE), très drastiques par rapport à la moyenne mondiale restent 2 à 2,5 inférieurs à ceux fixés par l’OMS en 2021…
Déduction : espace de sécurité à niveau dangereux
Bilan récapitulatif à l’échelle Sud Loire
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